Par un arrêt du 27 février 2024 (CAA Paris, 27 février 2024, M. B. c/ Ministre de l’intérieur et des outre-mer, req. n° 23PA01342), la cour administrative d’appel de Paris est venu rappeler quelques conséquences, pour un agent public et son administration d’emploi, de mesures d’ordre pénales prononcées à son encontre, même provisoires : lorsqu’un agent est interdit d’exercer ses fonctions par mesure de contrôle judiciaire, l’administration est tenue d’en tirer les conséquences, notamment sur sa rémunération, en l’absence de service fait, et ce même sans procédure disciplinaire.
Monsieur B., gardien de la paix à Paris, a été mis en examen pour des faits de trafic d'influence passif et corruption passive. Le juge d’instruction en charge de l’affaire l’a alors placé sous contrôle judiciaire le temps de l’instruction de l’affaire, avec interdiction d’exercer toute activité de fonctionnaire de police et toute activité au sein de la fonction publique d’État ou de la fonction publique territoriale.
Monsieur B. a fait appel d’une demande de mainlevée de cette ordonnance, et si la cour d’appel de Paris a supprimé l’interdiction d’exercer toute activité au sein de la fonction publique d’État ou territoriale, elle a maintenu l’interdiction d’exercer toute activité de fonctionnaire de police.
En conséquence de ces mesures, Monsieur B. a été privé de rémunération à compter de l’édiction du contrôle judiciaire, jusqu’à son placement en suspension conservatoire avec rémunération, près d’un an plus tard.
A l’issue de la procédure pénale, l’agent n’a toutefois pas été condamné en justice pour les faits qui avaient donné lieu aux mesures de contrôle judiciaire.
Monsieur B. a alors recherché la responsabilité de son administration pour les préjudices qu’il estimait avoir subis du fait des mesures prises (ou non prises) à son sujet par son administration durant la période du contrôle judiciaire.
Le tribunal administratif de Paris ayant rejeté sa demande, il a interjeté appel devant la cour administrative d’appel du ressort.
Les juges d’appel parisiens ont ainsi dû se pencher sur la question de savoir quelles étaient les conséquences, pour l’employeur public, d’une mesure de contrôle judiciaire provisoire portant interdiction d’exercer les fonctions d’un de ses agents.
Le système protecteur de la suspension conservatoire en cas de poursuites pénales
C’est l’ancien article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, aujourd’hui codifié aux L. 531-1 et suivant du code général de la fonction publique, qui prévoyait le régime de la suspension conservatoire en cas de faute grave.
Il prévoyait notamment que :
« Le fonctionnaire, auteur d'une faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline.Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. »
Ainsi, ce ne sont pas seulement les fautes disciplinaires (professionnelles) qui permettent la mise en œuvre d’une suspension conservatoire – laquelle n’est pas privative de rémunération – mais également les infractions de droit commun.
Si ce texte est resté cantonné à ces quelques acceptions pendant des années, il a été profondément modifié (complété) par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui est venue ajouter nombre de conditions et situations liées à l’existence de poursuites pénales.
Il est dorénavant prévu que :
« En cas de poursuites pénales, si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire et si les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, le fonctionnaire est rétabli dans ses fonctions.
[…] Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. »
L’article (et dorénavant le code) prévoient enfin des mesures spécifiques liées à la rémunération de l’agent subissant des poursuites pénales :
« Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au deuxième alinéa. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. »
Mais ces mesures de protection n’ont lieu qu’en cas de prononcé, par l’administration, d’une suspension conservatoire.
L’absence de caractère obligatoire de la suspension conservatoire, et les conséquences du contrôle judiciaire sur la rémunération
La cour administrative d’appel de Paris le rappelle dans l’arrêt commenté : l’administration – qui détermine seule l’opportunité de poursuites disciplinaires – n’a aucune obligation de suspendre à titre conservatoire un agent faisant l’objet de poursuites judiciaires :
« L'engagement d'une procédure disciplinaire ne s'imposait pas pour tirer les conséquences de l'interdiction judiciaire à laquelle il était soumis et l'administration n'était aucunement tenue de prendre à son encontre une mesure de suspension de ses fonctions. »
L’administration a en revanche obligation de tirer les conséquences de mesures pénales : elle a interdiction de confier des fonctions à un agent qui s’est vu interdire, par l’autorité judiciaire, l’exercice de fonctions publiques.
Dès lors, les juges administratifs d’appel parisiens ont estimé que l’ensemble des dispositions précitées n’empêchent pas l’administration
« d’interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement du traitement d'un fonctionnaire pour absence de service fait, notamment en raison de l'interdiction d'exercer ses fonctions résultant d'une mesure de contrôle judiciaire. »
L’agent ne pouvant plus exercer ses fonctions du fait de la mesure de contrôle judiciaire prononcée à son encontre, il se plaçait en absence de service fait, entraînant automatiquement l’arrêt du versement de sa rémunération.
Une automaticité sous conditions
Il convient néanmoins de rappeler – comme l’a fait implicitement la cour administrative d’appel de Paris – que l’automaticité des conséquences tirées par l’administration d’une mesure de contrôle judiciaire est soumise à conditions.
Certes, et d’une part, l’absence de caractère définitif d’une mesure de contrôle judiciaire, par essence provisoire, n’est pas de nature à empêcher son constat.
Encore faut-il que cette mesure soit exécutoire immédiatement et qu’elle ne fasse pas l’objet d’un appel suspensif.
L’administration ne peut ainsi tenir compte de mesures judiciaires qui seraient suspendues par l’effet des textes propres à la procédure pénale.
D’autre part, toute mesure de contrôle judiciaire ne peut entraîner une telle privation de rémunération.
Dans le cas présent, la mesure de contrôle judiciaire – pleinement exécutoire – consistait notamment – dans sa version issue de l’appel formé par Monsieur B. – en une « interdiction d'exercer toute activité de fonctionnaire de police ».
Or, les fonctions du grade des gardiens de la paix étant nécessairement liées à des activités de fonctionnaire de police, la cour a constaté que le ministre n’avait pas la possibilité d’affecter Monsieur B. à d’autres fonctions de son grade, même temporairement.
Les juges administratifs d’appels parisiens relèvent néanmoins que Monsieur B. aurait pu demander à être détaché dans un emploi compatible avec l’interdiction judiciaire prononcée à son encontre, ce qu’il n’avait pas fait, empêchant de rechercher la responsabilité du ministère à ce titre.
Il n’en reste pas moins que par cette décision, la cour administrative d’appel de Paris a mis a mal le système – quelque peu complexe au demeurant – entourant la suspension conservatoire en cas de poursuites pénales de l’agent public, mis en place par la loi « déontologie » d’avril 2016 , et qui visait notamment à prévoir spécifiquement les droits d’un agent public sujet à une mesure de contrôle judiciaire l’empêchant d’exercer ses fonctions.
Si la logique de la cour est implacable juridiquement, elle interroge sur la pertinence de ce système de garanties et les choix opérés (et d’ailleurs questionnés par les praticiens du droit de la fonction publique en 2016) par le législateur lors de la modification des règles relatives à la suspension conservatoire.
Les juges administratifs d’appels parisiens auraient ainsi pu pallier ce qui semble être un oubli du législateur de 2016 et étendre les garanties accordées à l’agent suspendu sous contrôle judiciaire à tous les agents placés sous contrôle judiciaire, suspension ou non.
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