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Dans le cadre d’une transaction, un agent public peut dorénavant renoncer à son recours pour excès d

Dernière mise à jour : 21 nov. 2022


Tel que le rappellent les dispositions de l’article L. 423-1 du code des relations entre le public et l’administration, « ainsi que le prévoit l’article 2044 du code civil sous réserve qu’elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l’administration ».

Si ce mode de règlement amiable d’un conflit juridique n’était pas exclu en droit public, sa mise en œuvre demeurait délicate en matière de fonction publique.


En effet, en droit de la fonction publique, le principe d’une transaction est, ici, non pas de négocier le départ d’un agent, mais de mettre fin à une contestation née, ou prévenir une contestation à naître, en interdisant aux parties toute introduction, continuation ou reprise d’une action contentieuse. Or, en vertu de l’article 6 du code civil lequel prévoit que l’« on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs », une transaction ne pouvait, selon une jurisprudence constante, avoir pour but de renoncer à l’exercice d’un recours pour excès de pouvoir.

Si la faculté de transiger ne posait pas de difficulté dans les recours de plein contentieux subjectif lequel ne vise pour l’agent qu’à obtenir réparation des préjudices, tel n’était pas le cas dans l’hypothèse d’un recours dit « mixte » visant à obtenir à la fois l’indemnisation et l’annulation de la décision litigieuse. En effet, la concession de l’agent par laquelle il s’engageait à n’exercer aucun recours quel qu’il soit contre l’administration, relevait davantage d’un accord moral dont l’administration assurait seule le risque puisque, in fine, nonobstant la transaction, l’agent ne pouvait abandonner son droit au recours pour excès de pouvoir.

Désormais, dans l’arrêt présentement commenté, le Conseil d’État donne sa pleine effectivité à la transaction, en admettant que l’agent puisse renoncer à son recours d’excès de pouvoir. Il opère ainsi un revirement de jurisprudence inattendu (I), tout en rappelant que cette faculté de transiger reste cependant conditionnée (II).

I – Un revirement de jurisprudence inattendu

Par un arrêt qui avait, lors de sa publication, été remarqué, la cour administrative d’appel de Nancy s’inscrivait clairement dans le sens d’une transaction au champ limité des concessions entourant le recours pour excès de pouvoir (CAA Nancy, 23 mai 2017, Centre hospitalier de Sedan, req. n° 15NC01590).

Toutefois, le Conseil d’État par une décision récente (CE, 5 juin 2019, Centre hospitalier de Sedan, req. n° 412732) n’a pas suivi les juges du fond dans leur raisonnement, lesquels appliquaient pourtant à la lettre les règles qu’il avait posées à la transaction administrative pendant près d’un demi-siècle.

En l’espèce M. B..., agent titulaire au centre hospitalier de Sedan, a été victime le 7 novembre 2007 d'un accident, reconnu imputable au service. A la suite d'un nouvel accident survenu le 27 juillet 2010, d’autres pathologies ont été diagnostiquées. Suivant l'avis de la commission de réforme, le directeur du centre hospitalier de Sedan a écarté l'imputabilité au service du second accident, par une décision en date du 30 juin 2011. M. B... a été placé en disponibilité d'office à compter de la date de l'accident par une décision du 16 septembre 2011, conformément à l'avis du comité médical.

Le 30 mai 2013, le centre hospitalier de Sedan, suivant l'avis de la commission de réforme, a admis l'intéressé à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 1er novembre 2012.

Dans un premier temps, M. B...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision du 30 mai 2013.

Au cours de l'instance devant le tribunal administratif, M. B...et le centre hospitalier ont conclu un protocole transactionnel en date du 6 novembre 2014, lequel faisait notamment état du renoncement au recours engagé par M. B...contre la décision du 30 mai 2013 en ces termes : « les parties se déclarent entièrement remplies de leur droit et s'engagent à se désister, en tant que de besoin et à renoncer expressément à toutes instances et actions passées, présentes ou à venir et qui trouveraient leur fondement dans la formation, l'exécution ou la rupture des relations de travail ayant existé entre elles » et stipule qu' « il est définitivement mis un terme à tous les litiges ayant opposé les parties ».

Toutefois, dans l’intervalle, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a accédé à la demande de l’agent et annulé la décision du 30 mai 2013, l’admettant à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité imputable au service.

A l'appui de l'appel qu'il a formé contre ce jugement, le centre hospitalier a produit le protocole transactionnel, et demandé à la cour administrative d'appel d'en déduire qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande de M.B....

Suivant la jurisprudence constante du Conseil d’État en matière de transaction (CE, ass., 19 novembre 1955, Andréani, Lebon 511 ; CE, 2 février 1996, Société Etablissement Crocquet, req. n° 152406), la cour administrative d'appel de Nancy, pour rejeter l'appel du centre hospitalier, a retenu que « les agents publics ne peuvent renoncer par avance aux dispositions protectrices d'ordre public instituées en leur faveur, telles les dispositions régissant l'admission à la retraite pour invalidité ».

En effet, jusqu’alors, aucune transaction ne pouvait faire obstacle au jugement d'un recours pour excès de pouvoir présenté par un fonctionnaire contre la décision prononçant son admission à la retraite (CE, 26 juillet 1949, Marquis, Rec. p. 470). Plus largement, l’administration ne pouvait, par transaction, se permettre de ne pas appliquer la procédure devant légalement mener à l’édiction d’une décision administrative particulière.

Par la voie de la transaction, l’administration pouvait uniquement mettre fin à un litige portant sur la réparation d'un préjudice né d’une décision illégale (CAA Versailles, 18 octobre 2007, Cne d'Éragny-sur-Oise, req. n° 06VE01538).

Cette jurisprudence se fondait sur le fait que le droit au recours était lui-même un principe de nature constitutionnelle (Conseil constitutionnel, 21 janvier 1994, Urbanisme et construction, n° 93-335 DC) et inscrit dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 13), véritable règle d’ordre publique à laquelle il ne pouvait ainsi être dérogé.

Toutefois, cette conception rigide du caractère licite d’une transaction ne prenait pas en compte l’intérêt pratique de la résolution conventionnelle de litiges. En effet, de nombreux requérants prenaient en réalité souvent l’engagement « moral » de se désister de leur instance, qu’il s’agisse d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un recours indemnitaire, malgré la position du juge administratif, les transactions des parties lui échappant bien souvent.

C’est probablement pourquoi, aussi surprenant que cela puisse paraître au regard de l’importance du principe régissant le droit au recours, le Conseil d’État a jugé que la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit en statuant comme elle l’avait fait, indiquant dorénavant qu’ « aucune disposition législative ou réglementaire applicable aux agents de la fonction publique hospitalière, ni aucun principe général du droit, ne fait obstacle à ce que l’administration conclue avec un fonctionnaire régi par la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, ayant fait l’objet d’une décision l’admettant à la retraite pour invalidité non imputable au service, une transaction par laquelle, dans le respect des conditions précédemment mentionnées, les parties conviennent de mettre fin à l’ensemble des litiges nés de l’édiction de cette décision ou de prévenir ceux qu’elle pourrait faire naître, incluant la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision et celle qui tend à la réparation des préjudices résultant de son éventuelle illégalité. ».

La Haute juridiction paraît donc tenir compte de l’évolution récente de la position de certains juges du fond, qui estimaient que l’engagement de renoncer à un droit était possible sans méconnaître pour autant aucune règle d'ordre public (TA Cergy-Pontoise, 8 janvier 2015, Sté Multi Development France, AJDA 2015. 993, note S. Merenne).

Ce faisant, le Conseil d’État semble donc modifier considérablement les contours et conditions de la transaction, ouvrant notamment la possibilité de transiger, non plus au seul contentieux indemnitaire, mais également au contentieux de l’excès de pouvoir, ou encore en permettant à un agent public de renoncer à l’application d’un droit qu’il tient des dispositions statutaires.

II – Une transaction demeurant conditionnée

Outre ce revirement, cet arrêt présente un second intérêt car, de manière très pédagogue, la Haute juridiction administrative rappelle les conditions de la validité d’une transaction précédemment retenues par la jurisprudence : la licéité du contrat, le respect de l’ordre public et l’existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties.

Si dorénavant l’agent peut transiger quant à ses droits au recours pour excès de pouvoir, il est toutefois important de rappeler qu’en vertu de l’article 6 du Code civil, certaines concessions restent exclues de par leur caractère illicite ou dérogeant à l’ordre public. Ainsi, le juge administratif sanctionnera les employeurs publics qui s’engageaient « par la voie d’un contrat à faire usage dans un sens déterminé, du pouvoir règlementaire » (CE, 9 juillet 2015, req. n° 375542).

De même, sous la condition liée au respect de l’ordre public, les parties ne peuvent déroger aux dispositions statutaires (CE, 1er octobre 2001, Cne des Angles, Rec. p. 793 ; CE, 14 juin 2014, M. Leplatre, req. n° 250695). Ainsi, la transaction ne peut avoir comme objet de déroger aux hypothèses et modalités règlementairement prévues d’éviction des fonctions telles que celles du licenciement ou de la retraite pour invalidité. En effet, tel que l’a rappelé le Conseil d’État dans le présent arrêt, la transaction doit mettre fin au litige dans sa globalité. Dès lors, une transaction ne peut se contenter de prévoir uniquement la fin des fonctions de l’agent, ou encore des avantages « extra-statutaires ».

Pour qu’il y ait homologation de la transaction par le juge administratif, il faut d’autre part que les concessions de chacune des parties soient réciproques et équilibrées. Or, dans le présent arrêt, le Conseil d’État procède effectivement à cette vérification, estimant alors que la somme attribuée en réparation des préjudices à M. B… équivaut aux renoncements à ses droits : « Le protocole transactionnel prévoit le versement par le centre hospitalier d'une somme de 35 000 euros en contrepartie de la renonciation de M. B...à l'ensemble des contestations nées ou à naître du fait de sa carrière et de sa sortie du service. Compte tenu de l'intérêt qui s'attache, pour les deux parties, au règlement rapide de leur différend et eu égard, d'une part, à la contestation élevée par M. B...relative à la décision du 30 mai 2013 quant à l'appréciation portée par l'administration, conformément à l'avis de la commission de réforme, sur son inaptitude définitive à l'exercice de ses fonctions et sur l'imputabilité au service de l'accident du 27 juillet 2010 qu'il estime être à l'origine de son invalidité, et aux conséquences respectives d'une éventuelle annulation contentieuse prononcée pour l'un ou l'autre motif - à savoir l'obligation pour le centre hospitalier de le réintégrer et de le reclasser ou de lui ouvrir droit à une rente viagère d'invalidité - et, d'autre part, au droit à réparation des préjudices susceptibles de découler de l'illégalité éventuelle de cette décision, ce protocole comporte des concessions réciproques qui n'apparaissent pas manifestement déséquilibrées au détriment de l'une ou l'autre partie ».

En outre, compte tenu de la gravité des engagements pris par les parties, lesquels aboutissent notamment pour l’agent public à un abandon d’un droit qu’il détient des dispositions statutaires qui lui sont applicables, le Conseil d’État s’assure de vérifier que la transaction n’est entachée d’aucun vice du consentement : « il ne résulte pas de l'instruction que le contrat de transaction serait entaché d'un vice d'une particulière gravité, touchant notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, justifiant qu'il soit déclaré nul ». Ce faisant, il rapproche considérablement la transaction en droit de la fonction publique du régime des autres contrats administratifs, s’agissant desquels le juge n'est tenu de prononcer leur annulation que dans l'hypothèse d'une irrégularité particulièrement grave tenant aux conditions de sa conclusion ou à son contenu (CE, 28 décembre 2009, Cne de Béziers, req. n° 304802, Lebon).

Ce troisième volet de l’affaire opposant M. B… au Centre hospitalier de Sedan, malgré son caractère inattendu, laisse certaines questions en suspens. En effet, force est de constater que la Haute juridiction s’est abstenue de dégager clairement un quelconque principe général du droit, qui mettrait fin à l’interdiction de transiger sur l’issue d’un contentieux de l’excès de pouvoir. Au contraire, le juge administratif prend le soin de préciser qu’il statue sur un litige afférant au droit de la fonction publique hospitalière. Cette précision amène nécessairement à s’interroger sur la portée d’une telle décision s’agissant de la fonction publique de l’État, ou de la fonction publique territoriale, dès lors que ce type de concessions se font, pour l’heure, systématiquement « épinglées » au contrôle de légalité.

Aussi, si cette décision semble a priori ouvrir le champ de la transaction, il apparaît nécessaire d’attendre la naissance d’autres décisions qui viendraient confirmer et éclairer la voie que la Haute juridiction semble avoir ouverte à travers cette décision du 5 juin 2019.

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